installation
invocation2

 

 

Splendeur de la déroute : Le naufrage, la perte des repères                        

Ce long poème de Rimbaud évoque la dérive d’un navire marchand dont la voie fière et toute tracée se voit brutalement interrompue par des indiens, décimant l’équipage.
Sans ses guides, il se laisse dériver et conte alors son naufrage magnifique.

Mer

Le texte évoque une façon de voir la beauté dans l’échec. Le bateau, personnage passif, était guidé par une volonté qui, une fois anéantie par les forces de la nature (les indiens) le laisse libre d’aller au gré des fleuves et des courants. Ceux-ci l’entraînent dans leurs tréfonds, lui faisant découvrir un monde insoupçonné, qui lui serait resté inconnu s’il avait vécu ce qui était prévu.

C’est comme un personnage que la vie ne le conduit pas où il voulait, et suite à l’interruption d’une carrière brillante, il se trouve forcé de se plier à une autre façon de voir les choses. En passant sous la surface, il découvre les profondeurs, belles et tragiques. Le bateau n’en souffre pas comme un homme et accepte la situation sans panique, de façon contemplative, ce qui lui permet de l’apprécier et de nous la décrire.

Mer Mer Mer

Pour plonger sous la surface, il faut faire naufrage.
Dans un monde où l’échec est tabou, comment parvenir à la profondeur des choses ?
Ce poème m’évoque le même sentiment que la fin du film « l’homme qui rétrécit », écrit par Richard Matheson (scénariste pour la série « la 4e dimension »), en cela qu’une fatalité peut révéler de nouveaux horizons: le personnage ne cessant de diminuer de taille se rend compte qu’il va découvrir les secrets de l’infiniment petit.

Les perspectives antérieures disparaissent à jamais, mais si l’on accepte cette situation, cela permet de voir que cette chute a conduit dans un ailleurs qui n’est pas la mort, mais une autre vie, un monde différent.

Mer Mer Mer

Les aquariums : l’eau-écran

Le milieu sous-marin est comme cet autre monde dans le notre. La pesanteur n’y est plus la même, le son est étouffé, les dimensions trompeuses.
Le sous-l’eau est une métaphore de l’inconscient dans les rêves, de tout ce qui est caché mais où grouille une vie intense et colorée.

Les aquariums sont comme des fenêtres vers ces petits fragments d’autres dimensions, et invitent à se plonger dans l’observation d’un univers à une autre échelle.
Ils deviennent les écrans d’un film en trois parties où des scènes sous-marines se succèdent en rythme avec le texte. Ballotés par le ressac des marées, les algues et les animaux s’adaptent à cette nature sans ménagement, où tout n’est que mouvement, sans repos.

Mer

Mer Mer

Le triptyque

Disposés de manière à entourer le champ visuel du spectateur, les trois écrans/aquarium attirent simultanément son attention. Cela créé un trouble quand à savoir où focaliser son regard.
C’est un ressac d’images qui ne laisse jamais tranquille, dans le confort d’un seul film à voir, mais le chahute visuellement d’un aquarium à l’autre. La réfraction de l’eau contenue dans les aquariums contribue également à cet aspect déstabilisant.

La temporalité du poème est floue comme celle des films. Ils s’ouvrent et se terminent ensemble, parfois un plan synchrone réunit le triptyque à l’unisson mais en dehors de ces recoupements, chacun divague à son rythme, explorant des fonds différents, parfois se répétant comme un cycle infini.

Par rapport à la maquette présentée, différentes synchronisations entre les films sont encore à retravailler pour aller dans le sens de cet effet, en recherchant d’autres décalages temporels.
Filmés à l’aide d’une caméra GoPro, ces milieux sous-marins paraissent plus grands qu’ils ne sont, et la courte focale de l’appareil contribue à troubler les repères visuels. Les petits habitants des roches et des algues semblent gigantesques comparés à une échelle ordinaire.

La poésie et l’aléatoire des images ont leur importance dans ce projet, puisqu’en les filmant il était impossible de voir le cadrage, ces caméras n’ayant pas de retour. C’est aussi partie de l’idée du poème que de lâcher prise et ne pas être dans le contrôle, pour qu’advienne de la nouveauté.

Une seule bande sonore unifiera l’installation, composée d’une voix off qui dira le texte intégral, lue par le chanteur Fergus.
Une musique originale divagante et lancinante accompagne cette voix, composée par le groupe Legendary Pink Dots, avec leur aimable autorisation.
De même que l’image, le son de la maquette n’est pas finalisé au niveau du montage ni du mixage et des corrections sont encore nécessaires.

 

Mer

L'installation

Dans un espace aux murs noirs et à l’ambiance tamisée, trois aquariums aux dimensions d’environ 50x30cm, présenteront 3 films différents, filmés sous l’eau.

Dans les aquariums, un décor sous-marin fait d’algues et de roches, assez bas pour ne pas cacher l’image.
Les films seront projetés par derrière les aquariums sur un calque épais tapissant la paroi arrière, et un peu de lumière filtrera sur les éléments dans l’aquarium.

Des casques à disposition du public permettront d’entendre le texte et la musique.

Au pied des socles d’aquariums, des roches sous-marines aux contours adoucis par le ressac habilleront la présentation et évitent au public de passer derrière les aquarium où se trouvent les projecteurs vidéo. (absents sur la maquette)

Sur l’écran du milieu se déroulera le film principal qui est le plus directement inspiré du texte, et présente plus le contexte : la mer, les algues, le ressac inlassable.

A gauche, les animaux qui peuplent l’univers sous-marin seront plus présents.

Et dans l’aquarium de droite, le naufrage sans cesse répété du bateau s’échouant dans les profondeurs.

 

Les trois films en détail

 

Film principal diffusé sur l'aquarium du milieu:

Film aquarium gauche:
Film aquarium droite:
 

Précisions techniques

 

Pour que l’installation soit idéale les murs seront noirs pour plonger l’espace dans l’obscurité.

Les dimensions des aquariums ainsi que la diffusion des vidéos pourront s’adapter au contexte. Des écrans vidéo placés derrière les aquariums peuvent remplacer les projecteurs.

Dans le cas d’un espace suffisamment isolé au niveau sonore, la bande son peut être diffusée par des haut-parleurs au lieu de casques.

 

 

Plan au sol

 

plan

 

 

 

 

Le Bateau Ivre

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
  
J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.
  
Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
  
La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !
  
Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.
  
Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;
  
Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !
  
Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !
  
J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !
  
J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !
  
J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !
  
J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !
  
J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et des lointains vers les gouffres cataractant !
  
Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !
  
J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.
  
Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...
  
Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !
  
Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;
  
Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;
  
Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;
  
Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !
  
J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?
  
Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !
  
Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.
  
Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

Arthur Rimbaud

 

Mer

 

Contact :
Justine Gasquet
06 12 52 64 82
justine@melantropy.org